Les Attestants ont quatre ans

25 mars 2019

Les Attestants ont quatre ans

Près de quatre ans après la naissance des Attestants, où en est le mouvement ? Quelle est sa place dans l’EPUdF ? Sa naissance a permis de limiter du moins en partie le départ de pasteurs et de fidèles après le synode de 2015. Mais en vue de quoi ? Pour vivre quoi dans notre Église qui, pour une large part ne comprend pas ce que représente ce mouvement. Sur cette question je propose quelques réflexions à l’usage des Attestants dont je suis membre, élu au conseil d’administration comme à usage de l’EPUdF dont je suis un ministre.

Le synode de 2015 a sonné pour certains d’entre nous comme un coup de tonnerre. Une Église protestante peut prendre une décision synodale en s’appuyant sur la Bible pour lui faire dire le contraire de ce que celle-ci énonce clairement. Le choc et la tristesse restent considérables. Les Attestants sont nés d’une protestation devant une attitude qui relativise l’autorité des Écritures. Comme les Attestants se savent eux- mêmes capables de fausser le message de la Bible, ils sont restés dans leur Église, solidaire de sa misère, partageant ses fautes et son espérance. Comment a-t-on pu en arriver là ?

Église de confessants ou Église de multitude ?

Certaines parties des évangiles sont profondément structurées par des rencontres de Jésus avec le groupe des disciples, la foule et les adversaires. Les disciples n’y sont pas présentés sous un jour flatteur. Depuis les premiers temps, l’Église cherche à accompagner deux réalités : D’une part des membres qui désirent vivre dans toutes les dimensions de leur vie à la suite de Jésus comme des disciples, en mettant en pratique la foi reçue en une vie plus forte que la mort et une liberté plus réelle que toutes les entraves et déterminismes. D’autre part, des membres dont les motivations formulées vont être plus parcellaires : à partir d’un événement de leur vie ou une simple curiosité, des êtres se rapprochent de l’Église pour faire un bout de chemin.

L’Église catholique, traditionnellement avait développé ces deux approches confessante et multitudiniste séparées par une clôture nette avec d’une part les couvents et monastères, où la discipline ecclésiastique était exigeante et d’autre part les diocèses et leurs paroisses, avec une discipline plus souple pour la multitude. Il y avait l’idée que l’Église des religieux était plus proche du Seigneur que la multitude et que les moines et les religieuses étaient de meilleurs chrétiens que les fidèles des paroisses et des diocèses. À la fin du Moyen-Âge, l’Église de multitude était matériellement au service de l’Église des clercs.

L’apport original de la Réforme : l’Eglise confessante dans l’Eglise de multitude.

La Réforme protestante a refusé cette dichotomie parce que Jésus a donné « le pouvoir des clés » à chaque croyant. Nul besoin d’être moine ou moniale pour être un bon chrétien. Il n’y a qu’un seul peuple de l’Église. L’idéal monastique n’est pas

rejeté, il est au contraire transposé au cœur des paroisses pour y être vécu comme une nouvelle spiritualité accessible à tous et résumée par ces deux mots : Labor et Fides. Les réalités confessante et multitudiniste continuent d’exister dans l’Église, parfois à l’intérieur d’une même personne au nom même de la liberté évangélique. Le protestantisme historique ne cautionne pas le fait de vouloir sonder les reins et les cœurs. De nombreuses personnes distanciées de l’Église continuent de lui demander des services et des accompagnements à l’occasion des grands moments de la vie : cérémonies, instructions, accompagnement et sont accueillies le mieux possible. En même temps l’enseignement, les liturgies et les sacrements de l’Église encouragent le don de soi, la fidélité, la consécration en réponse à la grâce reçue. À chacun de se retrouver dans son cheminement singulier devant son Seigneur. Il n’y a qu’à Lui qu’on rend des comptes.

L’ecclésiologie protestante historique est ainsi dès le début une Église de confessants pensée et instruite à l’intérieur d’une Église de multitude et non pas à côté d’elle comme dans le modèle catholique. Il y a entre ces deux réalités confessante et mutitudiniste, une continuité et une contiguïté totales. On peut être à un moment très zélé pour le service de l’Évangile et ensuite se distancier par rapport à ses engagements et inversement. L’Église de confessants est stimulée par l’Église de multitude pour ne pas s’endormir dans une paresse ou une arrogance spirituelles et l’Eglise de multitude est stimulée par l’Église confessante pour ne pas s’installer dans le sentiment de satisfaction d’être déjà arrivée au but. Si toutes ces formes de rapprochements et d’éloignements existent et sont légitimes, il n’en demeure pas moins que la dynamique de vie la plus féconde et chargée de promesses repose sur le Christ et tout ce qui va favoriser le progrès d’une vie transformée par sa présence, guidée par l’Esprit Saint. Une vie de disciple axée non pas à partir de notre volonté propre mais à partir de l’appel et de la volonté du Seigneur de l’Église.

Ce modèle d’Église confessante au cœur de la multitude, charpenté par la théologie protestante classique, a ainsi vécu plusieurs siècles en donnant au protestantisme historique son génie propre et une fécondité prodigieuse née d’une continuité visible entre les foules incroyantes et leurs besoins, l’Église de multitude et l’Église confessante. Le protestantisme a en effet inversé la logique de service qui prévalait dans l’Église catholique où l’Église de multitude était au service de l’Église confessante : Les Réformateurs et leurs successeurs, et plus importants encore, Les fidèles confessants, se sont mis au service de la multitude et au service des incroyants en leur annonçant l’évangile du Salut et en se préoccupant au nom de l’évangile des conditions matérielles de vie des foules.

Le tournant multitudiniste à partir du XX° siècle.

À partir de la seconde moitié du XX° siècle, progressivement, la dimension confessante s’est estompée. Des mouvements internes et externes en convergeant dans leurs effets ont favorisé cette évolution. Par exemple, dans le paysage religieux français se sont développées de très nombreuses Églises évangéliques fondées sur le

modèle strict d’Églises confessantes. En se positionnant alors d’une manière réactive, les Églises réformées et luthériennes ont affirmé d’une manière croissante leur modèle multitudiniste. Elles ont ainsi oublié dans les faits d’abord puis avec des justifications intellectuelles de plus en plus hardies, l’originalité de leur histoire et le modèle ecclésiologique qui était leur spécificité.

On s’est attaché à définir le membre d’Église comme avant tout le membre d’une association loi de 1905. On ne parle plus de « disciples » mais parfois même de
« bénévoles ». L’accent s’est ainsi déplacé du vouloir de Dieu au bon vouloir humain. En 2013 on a renoncé au terme « discipline » qui renvoyait à la réalité humaine et spirituelle du discipulat donc à une relation personnelle dans toutes les dimensions de la vie avec le Christ, au profit d’un vocable juridique « constitution ». L’Église est devenue une affaire strictement humaine.

La prédication et la catéchèse n’ont plus eu comme objectifs de former une Église confessante c’est à dire une Église de disciples au sein de l’Église de multitude. Les clés bibliques et théologiques que les Réformateurs à la suite du Christ avaient voulu donner à tous, se sont à nouveau concentrées sur un réseau de clercs patentés, réputés seuls capables de manier les outils subtils de cette nouvelle approche multitudiniste au risque que l’Église de multitude se retrouve ainsi à nouveau comme dans le modèle catholique ancien au service d’une structure qui à tous les niveaux, absorbe de plus en plus d’énergie et de moyens pour son fonctionnement dans une logique centripète au détriment de la mission.

Dans une Église de multitude, les croyants sont plus axés sur leurs besoins, leurs attentes, leurs possibilités et leurs impossibilités au risque d’un consumérisme égocentré. Dans une Eglise de confessants, on cherche en premier lieu une relation avec le Seigneur et sa volonté, en prenant le risque d’une projection narcissique. Multitudinistes et confessants ont besoin les uns des autres dans la même Église pour ne pas s’enferrer dans leurs déviances respectives toujours possibles.

Un renouveau confessant au début du XXI° siècle ?

Le synode de 2015 a mis en lumière une évolution jusqu’ici cachée : la quasi- disparition de la dimension confessante dans notre vieille Église protestante. La naissance du courant des Attestants est à comprendre de mon point de vue comme le sursaut fragile et balbutiant, plus intuitif que pensé, de renouer avec un trait particulier de notre histoire, signe d’une originalité qui n’est ni celle de l’Église catholique, ni celles des Églises évangéliques : former une Église confessante dans une Église de multitude avec une dynamique centrifuge de service.

La question est de savoir si l’Église se centre à partir des demandes et attentes de la multitude ou si elle est axée sur les attentes du Seigneur qui répond à sa manière et parfaitement à nos besoins les plus secrets.

Une prédication qui vise les membres confessants mais inclut aussi la multitude et les incroyants curieux en visite dans nos temples – ou qui vise la multitude en incluant les confessants, est possible et nécessaire. Une offre diversifiée pour les enfants et les jeunes est possible et nécessaire en incluant la formation de jeunes disciples comme répondant aux attentes légitimes de culture religieuse. Un éventail d’approches bibliques diversifiées est possible et nécessaire, les unes pour stimuler l’appétit, les autres pour structurer une vie d’engagement et de service dans le couple, la famille, le travail, la société.

Les Attestants ne sont pas en eux-mêmes cette Église confessante dans une Église de multitude, mais ils peuvent en favoriser dans l’EPUdF l’émergence nécessaire au service de tous, au service de la multitude et surtout au service des incroyants et à travers eux au service du Seigneur de l’histoire.

Pascal Geoffroy, pasteur EPUdF à Reims


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