Evangéliser

Evangéliser : envoyés pour accueillir


D’emblée, nous savons que nous avons à faire à une action. Quand « évangéliser » est dit, vient tout de suite la question : « Qu’allons-nous faire ? », ou « Comment faire ? ». Il y a là comme un impératif stratégique, qui peut être celui de l’implantation ou du développement d’une Eglise, avec l’enthousiasme, avec la joie qui peuvent guider les commencements et les temps de renouvellement. Avec parfois aussi, dans des églises où le mot « évangélisation » a moins bonne presse – voire pas du tout –, l’interrogation-coup de massue : « A quoi ça sert ? ».

Un moment crucial de la vie des disciples fut celui où Jésus les envoya annoncer l’Evangile (Matthieu 10, Luc 10). Le Christ les envoie guérir, délivrer, il leur demande de se trouver au milieu des malades, des pauvres avec la seule force de l’Evangile. La suite montrera que la tâche était rude, qu’elle a été marquée par des échecs (la guérison de l’enfant possédé, Marc 9), mais aucun n’a demandé : « A quoi bon ? ». Ils n’ont pas posé cette question parce qu’ils avaient déjà vu Jésus à l’œuvre, et qu’ils voyaient les bienfaits de Dieu se concrétiser dans la vie de ceux qu’il rencontrait ; et sans doute aussi parce qu’il leur était insupportable de penser que les malades resteraient malades, les pauvres pauvres, et les possédés dans leur prison intérieure, sans que soit menée pour eux une action salutaire.

Mais finalement, ce n’est pas si mal de se demander à quoi sert l’évangélisation. N’ayons pas peur d’y laisser notre envie, notre enthousiasme en chemin. Il est bon, comme le propose le pasteur Alain Arnoux dans ses réflexions sur l’évangélisation (Vous avez dit évangélisation ? Quelques réflexions pour une Eglise de témoins, Olivétan, 2014), de « laisser évangéliser notre désir d’évangéliser ».

De fait nous pensons beaucoup à l’Eglise quand nous pensons à l’évangélisation. A sa croissance (version optimiste), à sa survie (version pessimiste), et plus largement à la réussite de nos initiatives, de nos ministères. Mais si nous relisons les premiers chapitres du livre des Actes, livre qui relate la naissance de l’Eglise, nous serons à nouveau étonnés de voir combien les apôtres se soucient peu de cette Eglise. Leur principale et même unique attention, sous la direction du Saint Esprit, est d’annoncer la personne de Jésus-Christ, et l’œuvre d’accomplissement que Dieu réalise en lui. Ils ne disposent que d’un lieu discret pour se retrouver, un lieu public pour prêcher, et de l’autorité du Saint Esprit. En ces temps-là, sans aucune organisation, ni aucun plan, ils passent d’une poignée d’apôtres à une foule de baptisés, 5000 selon Actes 4.

Ils n’avaient pas la préoccupation de faire vivre une Eglise, ni même de changer la synagogue en église. Mais de faire connaître le Christ mort et ressuscité, le Christ Parole de Dieu vivante et agissante, oui, c’était leur ambition.

Si évangéliser correspond bien à un élan et à une action, nous devons toujours revenir, et nous laisser porter par le premier de tous les élans de la foi : l’élan de Dieu pour nous, son amour entreprenant et source de salut pour quiconque croit.

Aussi, avant de parler d’action, faudrait-il parler d’accueil ?

Accueil de la vie nouvelle que Dieu donne à ses enfants, et qui, pour rester nouvelle, doit se re-nouveler, ce que font en nous la fréquentation régulière de la Parole de Dieu et notre assise existentielle dans la prière.

Accueil encore de ses charismes particuliers par lesquels les uns enseigneront, les autres exerceront une miséricorde vibrante de foi, d’autres encore apporteront des connaissances dans l’Esprit …

Cet accueil, qui, bien plus qu’une action, devient une disposition de vie, se traduira nécessairement par l’accueil des autres, plus lointains, et étrangers à la foi. Et si là les temps et les lieux pour le vivre appartiennent à chacun et à chaque communauté, je voudrais souligner le caractère essentiel de cet accueil dans la vie d’une Eglise dite « multitudiniste », ce qui est la situation majoritaire des églises luthéro-réformées.

Car une telle Eglise est sans cesse mise au défi de vivre la dimension de l’accueil, du fait même de son insertion dans le paysage social : si elle n’est plus tout à fait au milieu du village, on y vient encore pour de grandes occasions familiales. Les cultes, mais aussi les entretiens pastoraux, les célébrations officielles, l’engagement des membres dans la vie sociale, et jusqu’à la vie du presbytère portent cette dimension.

Il est tout à fait possible de sortir pour évangéliser. Bien des situations le réclament. Mais il est tout aussi urgent de savoir accueillir, et de le faire non seulement au nom de la bien aimable et discrète Eglise protestante, mais au nom du Christ, qui nous appelle à mourir et à ressusciter avec lui.

Julien N. PETIT

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