Nicée, 1700 ans après.
« Qui dis-tu que je suis ? »

Marquer les 1700 ans d’un concile, est-ce vraiment nécessaire ? Est-ce utile ? Le concile qui s’est réuni dans la ville de Nicée en 325 sous l’égide de l’empereur Constantin est connu pour avoir été le premier concile œcuménique. Il a largement rassemblé des évêques de l’ensemble du pourtour méditerranéen, d’Orient et d’Occident. Il est connu aussi pour l’une de ses conclusions : le Credo de Nicée, dont nous avons gardé une forme augmentée lors d’un concile postérieur, celui de Constantinople (381), où furent ajoutés d’importants articles sur le Saint Esprit.


Oui, pourquoi commémorer Nicée ?


Après tout, dans l’ordinaire de notre vie d’Eglise protestante, luthérienne ou réformée, le Credo de Nicée ne fait guère son apparition que lors des célébrations œcuméniques, quand les frères et sœurs catholiques, plus attachés que nous à son usage liturgique, le proposent.


Et puis, 1700 ans, ce n’est plus un anniversaire, c’est une fouille archéologique !


Ce concile est pourtant incontournable. Il n’a d’ailleurs cessé d’être reçu au cours de l’histoire de l’Eglise avec la plus grande considération. Ce fut le cas des réformateurs, qui l’ont considéré comme faisant partie de la « bonne » tradition[1].


L’apport principal de Nicée tient à ses affirmations christologiques. Face à Arius et à ses partisans qui voyaient en Jésus un homme, certes le plus grand, mais un homme seulement, il tranche pour la divinité du Christ. Il le déclare homoousios, consubstantiel au Père. En mettant la personne du Christ en son cœur, le Credo de Nicée s’inscrit à la suite des confessions de foi des trois premiers siècles. Les termes avec lesquels il en parle, sans être tous directement bibliques, peuvent cependant être solidement étayés par des arguments scripturaires.


La volonté d’unifier la foi de l’empire est une autre grande ambition de Nicée. Elle aboutit notamment à une date commune pour la célébration de Pâques : le dimanche qui suit la première pleine lune après l’équinoxe de printemps. Ce choix se fait au prix d’un arrachement, puisqu’il marque la rupture avec les racines juives du christianisme. Rupture qui durera longtemps et connaîtra ses heures tragiques. Comme un clin d’œil, il se trouve qu’en 2025, les Eglises chrétiennes fêtent Pâques à une même date, et que cette date coïncide aussi avec les célébrations de Pessah. Commémorer Nicée prend donc des airs de réparation !


Au-delà de cet heureux alignement des dates, qu’est-ce que Nicée a à nous dire ? Je propose deux points à réfléchir.


1. Nicée nous ramène à la centralité de la question christologique : « Qui dis-tu que je suis ? ». La réponse apportée se dit, certes, dans des termes très contextualisés. Selon toute vraisemblance, nous n’allons pas prêcher demain en chaire ou dans la rue un Christ consubstantiel au Père. Ou si nous en prêchons le sens, nous ne le ferons pas a priori avec ce
 
[1] Le Credo de Nicée dans le protestantisme : rejeté, facultatif ou normatif ? – Martin Hoegger


mot retenu par les pères conciliaires. C’est l’affirmation de la divinité du Christ qui fait la communion de Nicée. Suivre un Jésus « plus grand parmi les hommes », ou suivre le « vrai Dieu » fait une différence qui ne dépend pas de la qualité de notre obéissance, mais de la nature de celui auquel notre foi regarde. La question n’est pas là seulement de savoir si l’Eglise, en tant que communion, doit définir des contours, mais de savoir déjà quel est son centre.

 

2. Nicée souligne aussi la dimension confessante de l’Eglise. Confessante au sens d’une référence faite à une confession de foi. Au sein de notre Union d’Eglises, les avis divergeront sur la nécessité et la valeur d’une telle référence. La position la moins acceptable, me semble-t-il, serait l’indifférence. Plus souvent, on opposera la foi confessée, et une autre forme de foi qui se formerait à partir de l’expérience, autrement dit en actes. Je pense que cette distinction ne tient pas vraiment. Certes la confession de foi la plus juste peut tomber si elle est suivie d’actions qui la démentent et devenir un contre-témoignage. Inversement, sans les paroles guides de cette confession, nos actes chavirent vite dans le domaine des œuvres.


Un élément de réflexion peut aider à dépasser cette opposition apparente. Dans le protestantisme, nous ne sommes pas attachés aux confessions de foi par la tradition, mais par le critère qui fait de leurs convictions une traduction fidèle de l’Evangile tel que les Ecritures le présentent. Si c’est le cas, si ces textes se réfèrent clairement dans leurs affirmations à cet Evangile, nous n’aurons pas affaire à de simples déclarations d’intention, mais à une parole efficace (Hébreux 4, 12), qui ne connait pas cette séparation formelle entre parler et agir sur laquelle nous pensons pouvoir nous reposer ; une parole déjà transformatrice au moment où nous la prononçons.


Dans les périodes de crise, il est tentant de s’en remettre à l’espoir suscité par de nouvelles pratiques ou de nouvelles méthodes. Et si notre démarche consistait plutôt à savoir où sont nos richesses, pour savoir où est ce cœur qui nous permettra d’agir (Matthieu 6, 21) ? Les propositions du concile de Nicée ont bien un caractère historique, mais elles font partie de ce trésor capable de nourrir la foi de l’Eglise du temps présent.

 

Julien N. PETIT

Journée Nicée 22 mars 2025

Lien vers les vidéos de la journée Nicée organisée par la Fraternité de l’A.N.C.R.E, les Attestants, l’Unio Reformata et le Rassemblement R3 : www.youtube.com/@FraternitédelANCRE


Conférence du professeur André Birmelé à la Médiathèque Protestante du Stift :